Lutter pour une utilisation libre des semences paysannes

Dr Vandana SHIVA, fondatrice de Navdanya, ONG altermondialiste indienne

Dr Vandana SHIVA est une féministe écologiste engagée. Elle a fondé Navdanya, ONG altermondialiste indienne, en 1991 et a reçu le prix Nobel alternatif en 1993. La ferme de Navdanya est une banque de semences communautaire modèle, qui réclame le retour des semences dans le bien commun.

Pourquoi avoir créé une banque de semences ?

Parce que les paysans doivent se souvenir qu’ils sont les premiers cultivateurs de semences et qu’il y a seulement 20 ans, ils étaient encore les principaux producteurs de graines. Depuis, les compagnies qui produisent semences hybrides et pesticides ont tout fait pour criminaliser la sauvegarde des semences et rendre les paysans dépendants. Navdanya doit aider ces paysans à mener le « seed satyagraha »… Un « combat pour la vérité » – à la manière de Gandhi – sur les graines.

Pourquoi les paysans ont-ils besoin de produire leurs propres semences?

La première raison pour les paysans de produire leurs propres semences, c’est de pouvoir disposer des graines. D’où l’importance de la banque de semences. Nous avons aidé 120 « maisons de semences » à voir le jour qui ont pu sauver près de 4 000 variétés de riz, 150 variétés de céréales, et des semences natives de légumineuses, d’oléagineux et de légumes par centaines. Cette lutte fondamentale pour laisser aux paysans la liberté de leurs semences à travers une reproduction participative nous a aussi amenés à nous battre contre la Loi européenne des semences de 2014… Et même à soutenir des groupes américains incriminés pour leur activité de sauvegarde.

Pouvez-vous nous parler de votre combat contre les semences OGM ?

Le « miracle des OGM » comme seul moyen de nourrir le monde est une double duperie. D’abord c’est le produit d’une idéologie qui fait passer le profit des entreprises avant la vie des peuples et la biodiversité, et qui nie le droit de chacun à produire et à se nourrir du fruit de son travail. Et puis on voit bien, après 20 ans de commercialisation des OGM, que la faim et la malnutrition sont toujours d’actualité.

Le cas du « Bt cotton » Monsanto est symptomatique, non ?

Complètement. Malgré la loi indienne qui ne permet pas de breveter les graines, Monsanto contrôle aujourd’hui 95% des semences avec son coton OGM. La multinationale a gagné 900 millions de dollars sur le dos des petits paysans indiens, en les endettant de façon drastique. Avant qu’elle ne détruise les alternatives au Bt Cotton – y compris le fournisseur local de graines hybrides – les semences locales s’achetaient entre 5 et 9 roupies le kilo… En 2006, le prix avait grimpé à 1600 roupies les 450 gr, soit 1250 roupies de « taxe qualitative » encaissées par Monsanto !

Et pour une amélioration très relative ?

C’est le moins qu’on puisse dire. En 2010, après 8 ans de commercialisation, Monsanto reconnaît sur son propre site web que son coton transgénique Bt Bollgard I n’est plus efficace contre le ver rose du coton … Et en profite pour vanter la deuxième génération, le Bt Bollgard II, déclenchant ainsi une véritable épidémie suicidaire parmi les 5 millions de paysans qui plantaient du Bt I en Inde. 300 000 paysans indiens se sont donnés la mort entre 1995 et 2013, et on doit une mention spéciale à la ceinture cotonnière du Maharashtra où on a dénombré 53 818 suicides.

D’où votre lutte pour le droit des paysans à cultiver leurs semences ?

Oui ! Avant la mondialisation, 80% des semences indiennes appartenaient aux paysans qui les cultivaient. Et tous nos efforts doivent tendre à y revenir. Car nous n’avons pas besoin des droits de propriété intellectuelle de l’industrie génétique – qui ne profitent qu’à elle – pour construire un monde sans faim.

Propos recueillis par Charlène NICOLAY
Crédit photo : Kartikey Shiva


Semences paysannes VS semences industrielles

Marc DUFUMIER, agronome et enseignant-chercheur

Marc DUFUMIER, agronome et enseignant-chercheur, défend avec conviction l’agroécologie pour lutter contre le dérèglement climatique. Il nous a livré plus précisément ses arguments en faveur des semences paysannes.

Que sont les semences paysannes ?

Les semences paysannes sont des semences qui font l’objet d’une sélection par les paysans eux-mêmes. En effet, pour ensemencer leurs champs d’une année sur l’autre, les paysans vont chercher dans leurs propres champs des semences sur les plants les moins affectés par les insectes. En fait, ils suivent le même processus que leurs parents, grands-parents, etc… Les semences paysannes sont donc issues de plusieurs décennies, voire de siècles, de sélection. Cette sélection se base sur un critère majeur, qu’est l’adaptation à l’environnement local. Par conséquent, chaque variété de semences correspondant à chacun des environnements, les paysans disposent d’une multitude de variétés. Ces variétés sont dites « tolérantes » à la présence de ravageurs et d’agents pathogènes ; c’est-à-dire qu’elles empêchent elles-mêmes aux insectes de l’attaquer et donc permettent d’éviter l’utilisation de pesticides.

Et les semences industrielles ?

A contrario, les semences industrielles sont issues de compagnies semencières de l’agriculture industrielle. Pour qu’elles soient rentables, les chercheurs sont obligés de créer des variétés qui puissent être utilisées sur de très grandes surfaces. Et pour cela, il faut éliminer tous les gènes porteurs de caractéristiques trop locales des variétés de semences. Il est vrai que dans 95% des expériences menées par les compagnies semencières, la variété améliorée va donner un rendement supérieur aux autres. Mais pour évaluer le rendement des variétés industrielles, les semences sont plantées dans des « stations expérimentales ». Et pour que l’endroit ne soit pas sensible aux chenilles, champignons, mauvaises herbes, sont utilisés des pesticides, des fongicides et des herbicides chimiques. Ces produits tuent en principe seulement les insectes et pas les humains, mais on découvre aujourd’hui que ce n’est pas si vrai…

Et cela implique quoi exactement ?

Pour amortir le coût important de la recherche, il a été décidé que seules les semences industrielles pouvaient être cultivées, échangées et vendues. Les paysans doivent donc adapter leur environnement à un faible nombre de variétés et donc l’homogénéiser pour que leurs champs ressemblent aux « stations expérimentales ». Ainsi, les compagnies semencières peuvent accompagner la vente des semences améliorées par la vente de pesticides, fongicides, etc. Serait-ce une coïncidence ? Je laisse le soin aux lecteurs de juger par eux-mêmes…

Quelles sont les conséquences de l’utilisation de semences industrielles pour les paysans ?

Tout d’abord, l’utilisation de semences industrielles permet aux paysans d’accéder à un certain nombre de projets de développement agricole car l’accès au crédit est parfois conditionné par l’achat de ces semences améliorées. Les paysans découvrent dans un premier temps que ces semences peuvent donner de très bons rendements. En effet, il se peut que la quantité de nourriture disponible pour la famille et parfois même la valeur ajoutée du produit brut soient supérieures. Les désillusions viennent après un certain temps lorsque les déséquilibres écologiques liés à l’emploi d’engrais de synthèse et surtout de pesticides commencent à intervenir. Par exemple, lorsqu’un insecte résistant aux pesticides commence à proliférer. Pour rétablir ensuite l’écosystème, il va falloir encore plus de temps : c’est très difficile à réinverser.

Quels conseils donneriez-vous aux paysans du Sud ?

Je leur dirai de continuer à associer les cultures, c’est-à-dire d’évaluer la performance des variétés en association et non pas toutes seules comme c’est le cas dans les « stations expérimentales ». Je leur conseillerai également de ne pas spécialiser leur système de production mais au contraire d’avoir plusieurs espèces tels que le mil, le sorgho… Il est important que les paysans poursuivre la diversification de leur système de production à l’échelle de l’unité de production. Ce qui est sûr c’est qu’il ne faut rien leur imposer mais il est important de les mettre en garde !